Tribune

Référendum/Nouvelle Constitution/Législatives : Oui, Non ? (Tribune publié le 28 Février 2020)

« Dans la vie des Nations et des Peuples, il y a des instants qui semblent déterminer une part décisive de leur Destin ou qui, en tout cas, s’inscrivent en lettre capitale, autour desquelles les légendes s’édifient, marquant de manière particulière au graphique de la difficile évolution humaine, les points culminants, les sommets qui expriment autant de victoires de l’Homme sur lui-même, autant de conquêtes de la Société sur le milieu naturel qui l’entoure ». Cette première phrase de Feu Président Ahmed Sékou Touré, prononcé le 25 août 1958 à l’occasion de « l’étape Conakry » de la Campagne du Général Degaulle pour le Oui à la Constitution du 4 Octobre 1958 et à la Communauté franco-africaine, raisonne en moi à deux jours du 1er Mars 2020. Une date qui risque donc, à moins d’un énième rebondissement, comme le 28 Septembre de revêtir une double symbolique dans l’Histoire de la Nation guinéenne. Le Peuple, le fameux, part à ce scrutin en rang dispersé, plus divisé que jamais. Il y a ceux qui veulent/vont aller voter dimanche et appellent leurs compatriotes à en faire autant. La majorité d’entre eux sont les partisans du pouvoir en place et du Oui à la Constitution. Il y a ceux qui n’iront pas voter, qui appellent leurs compatriotes à en faire autant et qui tenteront même d’empêcher la tenue de ce scrutin. Qu’en est-t-il de moi et pourquoi d’ailleurs en parler ? J’en parle parce que j’ai toujours eu la prétention d’être un citoyen engagé. C’est d’ailleurs ainsi que j’ai signé mon précédent billet de blog relatif à la Justice en Guinée. C’est cette prétention qui a en partie guidé mon retour en Guinée, mon engagement pour l’Administration Publique, mon adhésion à une ONG et à ma participation à la création d’une association ces deux dernières années. Alors comment puis-je prétendre être ou aspirer à être un citoyen engagé si je ne prends pas part et position sur un débat qui concerne le Texte fondamental de notre Pacte social, la Constitution ? Sur la légalité du Référendum et de la Nouvelle Constitution : Je n’ai pas pris part à ce débat parce que je suivais et suis toujours un principe simple. Quand je ne sais pas, je me tais, j’écoute, je lis et me forge une opinion. Et j’estimais ne pas avoir les compétences nécessaires, notamment en Droit constitutionnel et en Légistique pour apporter de la pertinence au débat. J’ai donc lu et écouté avec beaucoup d’intérêt beaucoup d’acteurs sur le sujet. Et franchement la plupart n’apportait pas grand-chose de pertinent au débat juridique de fond. N’est pas juriste qui veut, encore moins constitutionnaliste qui veut ! La plupart des commentaires était en fait des prises de positions politiques accompagnés d’arguments juridiques très superflus et de passions non maîtrisées. Mais j’ai retenu trois contributions qui m’ont permis de me fonder une opinion et que je recommande à qui veut se faire une opinion sur les aspects juridiques de la crise, la renforcer ou la relativiser.[1] Essai de synthèse et de Vulgarisation pour utiliser un terme à la mode : Le débat s’est surtout cristallisé autour de l’article 51 de la Constitution du 7 mai 2010 et sur la question de savoir si au terme entre autre de cet article le Président de la République pouvait proposer par Référendum une nouvelle constitution. Une première tendance, amenée par le Professeur Zogbélémou sont les partisans d’une interprétation extensive du « tout projet de loi », évoqué au fameux article 51. Pour cette tendance il faut entendre par tout projet de loi, les projets de loi ordinaire mais également les projets de loi organique et constitutionnelle. S’appuyant sur cette interprétation, cette position doctrinale conclut à la possibilité pour le Président de la République de soumettre au peuple une nouvelle Constitution. Politiquement, les partisans d’une nouvelle Constitution, parti présidentiel et alliés, s’appuient sur celle-ci pour défendre le droit du Président de la République de proposer au Peuple une nouvelle Constitution. L’autre tendance, défend quant à elle une interprétation restrictive du « projet de loi » que peut soumettre à référendum le Président de la République. Pour cette tendance l’article 51 ne fait référence qu’au loi ordinaire, s’appuyant notamment sur le contrôle de constitutionnalité du projet imposé par cet article. Or il serait anachronique qu’une disposition exige qu’une nouvelle loi soit conforme à l’ancienne si elles ont même valeur dans la hiérarchie des normes. Pour cette tendance le Président ne dispose que d’un pouvoir constituant dérivé matérialisé par l’initiative de révision de la constitution par référendum ou par l’assemblée nationale, conféré par la Constitution du 7 mai 2010. Cette position me parait plus logique et emporte mon adhésion. En conclusion il s’agit de divergences doctrinales dont il peut exister dans de nombreuses branches du Droit entre praticiens. Les divergences doctrinales sont tranchées par la Jurisprudence ou la Loi. Ainsi d’un point de vue strictement légal, du moment où la procédure est validée par la Juridiction suprême prévue par la Constitution du 7 mai 2010, à savoir la Cour Constitutionnelle, alors le débat est tranché et la procédure est légale. Reste à savoir selon moi quelle légitimité accorder à ce référendum, à l’éventuelle et probable Nouvelle Constitution, et à la nouvelle Assemblée Nationale. Sur la légitimité du référendum et de la future Nouvelle Constitution : L’un des arguments les plus martelés par les défenseurs de la Nouvelle constitution est celle de l’illégitimité de la Constitution du 7 Mai 2010. C’était une bonne stratégie puisque la légitimité d’une Constitution adoptée par une assemblée non élue, promulguée par un Président intérimaire qui avait succédé à un Président putschiste, pouvait facilement être remise en cause. Et pour pallier à cette illégitimité et aux autres manquements soulevés, il a été proposé par le Président de la République une nouvelle Constitution soumise directement au peuple à travers un référendum. Le référendum. L’une des plus belles, des plus légitimes, des plus démocratiques formes d’expression populaire. Je n’étais pas contre l’idée d’une Nouvelle Constitution adoptée par Référendum malgré les soupçons de tremplin pour le 3ème mandat d’Alpha Condé. Mon opinion est que celle-ci pouvait être le parachèvement de son œuvre de Président s’il souhaitait nous laisser un nouveau système politico-social et dynamitant au passage la vieille classe politique mourante pour laisser émerger une nouvelle, à condition qu’il annonce clairement qu’il ne briguerait pas de nouveau mandat. Pour ça j’avais même lancé, comme une boutade avec l’un de mes camarades, un mouvement Ammasira-Issigua pour faire référence au hashtags Amoulanfé, Alanmanè et Anawotagui. Et les retours en privés et en public sur ce mouvement m’avait convaincu que beaucoup adhérait ou aurait adhéré à cette idée si elle avait prospéré. Entretemps le projet de nouvelle Constitution a été dévoilée et j’ai été très déçu. Déçu du processus opaque de l’élaboration par une commission technique dont les membres sont inconnus du grand Public. Pourtant les précédentes adoptions de Constitution en Guinée avaient étés plus transparentes. Je détiens une édition du journal Horoya de 1990 où était dévoilée la liste des membres de la Commission de rédaction de la Loi Fondamentale, parmi lesquels figuraient notamment, Justin Morel Junior, Kabinet Komara, Kori Kondiano ou encore Alhassane Condé, pour ne citer que cela. Déçu de la forme de la Nouvelle Constitution. Les fautes d’orthographe ou syntaxiques se trouvant dans la première mouture publiée n’est pas digne d’un projet de loi Fondamentale de notre pays élaborée par une commission technique composée de juristes pilotée par le Ministre de la Justice, Garde des Sceaux. Ça dénote un manque de rigueur et de sérieux évident dans le processus. Déçu aussi du fond car je ne la trouve pas révolutionnaire. Il y a des innovations intéressantes comme la candidature indépendante, la motion de censure ou le vote après le discours de Politique Générale du premier Ministre. Cependant j’estime que tous ces changements auraient pu faire l’objet d’une Révision qui aurait été plus sans aucun doute plus consensuelle sauf la durée du mandat qui est passé de 5 à 6 ans. Mais quelle est la pertinence de cet allongement du mandat ? Elle n’a pas été suffisamment débattue. Déçu justement de l’absence de débat de fond tout au long du processus d’adoption de la Constitution qui a empêché que le peuple se retrouve pour discuter sereinement de la manière dont nous envisageons notre modèle politico-social. Alors je me pose donc une ultime question avant de répondre à la question du titre de ce billet : Quelle légitimité pour une Constitution et une Assemblée Nationale adoptée et élue, au terme d’une campagne à sens unique, boycottée par une majorité de partis de l’opposition qui représentent une part importante du peuple, une campagne où le NON a donc été inexistant ? Une légitimité quasi-nul. Ainsi je réitère mon choix de ne pas aller voter le 1er Mars 2020 et ainsi dire à ma façon, NON à la Nouvelle Constitution, NON au Référendum dans ces conditions et NON à une assemblée nationale non représentative. Baïla Amadou Traoré, Citoyen prétendument engagé. [1] Il s’agit de l’article du professeur Zogbélémou, le Droit de réponse de Monsieur Diallo Mamadou cellou à cet article, et l’intervention télévisée de Jean Paul Komtembédouno.