Tribune

Nicolas Sarkozy et "les damnés de la terre...et de la mer" (Rédigé et publié en 2015)

(J'ai rédigé et publié cette tribune alors que j'étais étudiant en droit à Lyon en 2015)

Mercredi 29 Juillet 2015. Je me réveille et comme tous les jours j’écoute les infos…et une nouvelle fois les migrants à la une ! Encore un homme, parmi des milliers d’autres, mort dans la quête d’une vie meilleure. Cette fois il avait réussi à atteindre la terre ferme mais il est mort en tentant de traverser la Manche. Ce n’est pas la mer qui a pris le migrant mais le tunnel sous la manche. Ces migrants sont donc définitivement « les damnés de la terre » … et de la mer.

Et encore une fois cela fait la une des infos : réapparaissent alors les reportages sur les camps de migrants, les experts sur les plateaux tv, et enfin ce qui souvent me touchent définitivement le plus, les surenchères politiques. Les Florian Philippot ou encore les Éric Ciotti et consort qui débordent d’inspiration depuis qu’ils ne sont plus au pouvoir. Et puis les jours passent et on passe à autre chose bien sûr…Un débris d’avion qui pourrait être celui du mystérieux vol MH370 a été retrouvé !

Alors me viennent à l’esprit ces mots si touchants :

« Je sais l'envie de partir qu'éprouvent un si grand nombre d'entre vous confrontés aux difficultés de l'Afrique.

Je sais la tentation de l'exil qui pousse tant de jeunes Africains à aller chercher ailleurs ce qu'ils ne trouvent pas ici pour faire vivre leur famille.

Je sais ce qu'il faut de volonté, ce qu'il faut de courage pour tenter cette aventure, pour quitter sa patrie, la terre où l'on est né, où l'on a grandi, pour laisser derrière soi les lieux familiers où l'on a été heureux, l'amour d'une mère, d'un père ou d'un frère et cette solidarité, cette chaleur, cet esprit communautaire qui sont si forts en Afrique.

Je sais ce qu'il faut de force d'âme pour affronter le dépaysement, l'éloignement, la solitude.

Je sais ce que la plupart d'entre eux doivent affronter comme épreuves, comme difficultés, comme risques.

Je sais qu'ils iront parfois jusqu'à risquer leur vie pour aller jusqu'au bout de ce qu'ils croient être leur rêve.

Mais je sais que rien ne les retiendra.

Car rien ne retient jamais la jeunesse quand elle se croit portée par ses rêves.

Je ne crois pas que la jeunesse africaine ne soit poussée à partir que pour fuir la misère.

Je crois que la jeunesse africaine s'en va parce que, comme toutes les jeunesses, elle veut conquérir le monde.

Comme toutes les jeunesses, elle a le goût de l'aventure et du grand large.

Elle veut aller voir comment on vit, comment on pense, comment on travaille, comment on étudie ailleurs.

L'Afrique n'accomplira pas sa Renaissance en coupant les ailes de sa jeunesse. Mais l'Afrique a besoin de sa jeunesse.

La Renaissance de l'Afrique commencera en apprenant à la jeunesse africaine à vivre avec le monde, non à le refuser.

La jeunesse africaine doit avoir le sentiment que le monde lui appartient comme à toutes les jeunesses de la terre.

La jeunesse africaine doit avoir le sentiment que tout deviendra possible comme tout semblait possible aux hommes de la Renaissance.

Alors, je sais bien que la jeunesse africaine, ne doit pas être la seule jeunesse du monde assignée à résidence. Elle ne peut pas être la seule jeunesse du monde qui n'a le choix qu'entre la clandestinité et le repliement sur soi.

Elle doit pouvoir acquérir, hors d'Afrique la compétence et le savoir qu'elle ne trouverait pas chez elle.

Mais elle doit aussi à la terre africaine de mettre à son service les talents qu'elle aura développés. Il faut revenir bâtir l'Afrique ; il faut lui apporter le savoir, la compétence le dynamisme de ses cadres. Il faut mettre un terme au pillage des élites africaines dont l'Afrique a besoin pour se développer ».

 

Ces mots qui me vont droit au cœur ne sont pas les miens : ceux d’un étudiant africain venu faire ses études en France très sensible aux conditions d’accueil de ceux qui souvent ont tout perdu ou tout abandonné : leur bien, leur terre, leur famille. Ce ne sont pas non plus ceux du pape François ou ceux d’Edwy Plenel qu’un éditorialiste italien avait affublés de cet étrange néologisme que je découvrais alors : « immigrationniste » sur le plateau de ‘Salut Les Terriens’ sur Canal Plus juste parce qu’ils disaient en somme que l’Europe devrait prendre ses responsabilités face à la situation des migrants en Méditerranée. Ces mots ne sont pas non plus ceux d’Alain Juppé, candidat à la primaire du parti Les Républicains pour les présidentielles de 2017 jugé un peu trop modéré notamment sur ces prises de position sur l’immigration.

Ces mots sont ceux de Nicolas Sarkozy himself mais bien sûr ils n’ont pas été prononcés devant des militants du parti Les Républicains où il préfère comparer l’afflux et la mort par milliers de migrants en Méditerranée à « une fuite d’eau» déclenchant les rires de son auditoire. Il a prononcé ces mots en tant que Président de la République française en 2007 dans ce qui est devenu le célèbre discours de Dakar. Discours qui a pourtant heurté une grande partie de la jeunesse africaine à laquelle il prétendait pourtant s’adresser en tant « qu’ami de l’Afrique ».

Il a commencé d’ailleurs son discours par une erreur très symbolique mais très importante à mes yeux en remerciant « l’université de Dakar » de l’accueillir. L’université se trouve certes à Dakar mais elle porte le nom d’un des plus illustres fils de l’Afrique : Cheikh Anta Diop qui a justement consacré une grande partie de sa vie à prouver que non seulement l’Homme Africain était entré dans l’Histoire, contrairement à ce que Nicolas Sarkozy affirmera plus tard dans ce discours, mais qu’au-delà, il l’avait aussi faite et façonnée. Donc lorsque Nicolas Sarkozy dans un premiers temps assimilera l’africain au paysan africain et ensuite prétendra que celui-ci « depuis des millénaires, vit avec les saisons, dont l'idéal de vie est d'être en harmonie avec la nature, ne connaît que l'éternel recommencement du temps » et que cela ne laissait pas de place à « l’aventure humaine et à l’idée de progrès », je soupçonne que ne pas prononcer le nom de Cheikh Anta Diop était volontaire.

Dans ce discours Nicolas Sarkozy se livra à une vraie leçon de vie, de politique et de démocratie à l’Afrique et à ses dirigeants. Il se lança même dans une anaphore (figure de style popularisée par François hollande lors du débat qui opposa les deux hommes lors de la dernière campagne présidentielle) où le « moi, Président » était remplacé par « le problème de l’Afrique » ou le « défi de l’Afrique ». Il diagnostiquera ainsi tous les maux  de l’Afrique et nous donnera les solutions pour y remédier. Merci Monsieur le Président.

Mais revenons à nos migrants ! J’aimerais voir cet extrait de discours lu ou relu par les lieutenants et les militants du Parti Les Républicains. Ecoutez la parole du Chef ! Bien sûr ils me diront peut-être que les choses ont évolué sur le terrain depuis 2007.En effet il n’y avait pas encore eu la guerre en Lybie et le chaos qui en est né déstabilisant toute une région et voyant ainsi prospérer les trafiquants d’être humain en toute liberté. Ce qui a naturellement conduit le pays à être le point de départ de milliers de migrants à destination de l’Europe. Il n’y avait pas non plus la guerre en Syrie qui s’éternise et son lot de cadavres et de réfugiés. Daech n’était pas encore né des décombres de l’intervention américaine et de l’Otan en Irak et en Afghanistan. Je ne parle même pas du Soudan, de l’Erythrée ou du Yémen. Tous ses facteurs qui ont conduit à cet afflux massif de migrants. Dans beaucoup de ces conflits l’Europe et en particulier la France et l’Angleterre ont leur part de responsabilité. Ces migrants ne sont qu’une part du revers de la médaille de l’expansionnisme.

 Et si Montaigne au XVIe siècle disait que « chaque homme porte en lui la forme entière de l’humaine condition » Christiane Taubira dit au XXIe : « Humain qui dépouillé de tout reste digne et assez combatif pour braver la mer. Misérables ceux qui ricanent et rêvent de sang bleu ». La condition humaine a peut-être évolué entre temps mais au vu de la situation de ces migrants, il m’arrive de sérieusement d’en douter.

Baïla Amadou Traoré,

Citoyen Africain de Guinée