Le 16 septembre 2023 a été signée la charte du Liptako-Gourma, qui créa l’Alliance des Pays du Sahel (APS) à Bamako au Mali. Il s’agit d’une organisation sous-régionale de défense qui regroupe le Mali, le Burkina Faso et le Niger. Les points communs de ces trois pays sont entre autres leurs emplacement géographique (le sahel), leurs préoccupations sécuritaires (la lutte contre les attaques djihadistes) et aussi et surtout leurs dirigeants (qui sont tous de militaires arrivés au pouvoir par de coups d’États).Plusieurs raisons peuvent expliquer la création de cette organisation sous-régionale. Au nombre desquelles nous pouvons citer la volonté de faire face à une éventuelle intervention militaire de la CEDEAO avec le soutien de certains pays occidentaux, la lutte contre les attaques terroristes dont ces pays sont victimes, la consolidation de leurs pouvoirs car ils sont tous sous les sanctions de la CEDEAO et boycottés par plusieurs pays de la sous-région ainsi que l’ancienne puissance coloniale (La France). Face à toutes ces situations communes, il a donc été question d’établir une architecture de défense collective et d’assistance mutuelle, comme l’évoque l’article 2 de la charte.Au-delà de ces raisons énoncées, nous sommes en droit de nous poser certaines questions sur la viabilité de cette organisation, son fonctionnement, sa place dans le géopolitique mondiale actuelle et comment elle sera perçue par les pays de la sous-région et par les organisations continentales (CEDEAO, UA …).A)Les questions sécuritaires justifiant la naissance de l’AESLes pays de l’AES sont confrontés à des attaques terroristes sans précédent depuis plus d’une décennie. Ces attaques ont fait plus de 11.276 victimes civiles dans les trois pays depuis 2012 selon une compilation effectuée par l’ONG spécialisée ACLED. Toujours selon cette ONG, 2.057 civils ont été tués au Mali, Niger et Burkina Faso depuis le début de l’année 2022, soit plus que les 2.021 recensés pour toute l’année 2021.Ces attaques de tout genre ont été perpétrées surtout dans la région dite des 3 frontières. Pour Niagalé BAGAYOKO, Présidente de l’African Security Sector Network (ASSN) « Il n’y a pas que les groupes armés qui agissent dans la zone. Il y a aussi des groupes d’autodéfense mis en place par les populations elles-mêmes qui se constituent sur des bases communautaires, ce qui implique des conflits. Il y a des bandits armés, comme les appellent les populations, ou des hommes armés non identifiés. Les populations civiles sont soumises à de nombreuses attaques, y compris parfois de certaines unités ou membres des forces de défense et de sécurité ».Ces tueries se sont passées alors que tous ces pays font partie du groupe G5 Sahel ou « G5S » qui est un cadre institutionnel de coordination et de suivi de la coopération régionale en matière de politiques de développement et de sécurité. Il a été créé lors du sommet du 15 au 17 février 2014 par cinq États du Sahel : la Mauritanie, le Mali, le Burkina Faso, le Niger et le Tchad répartis sur 5 097 338 km2 (avec la bénédiction de la France et de l’Union Européenne).Face au manque de résultat probant dans la lutte contre la prolifération de ces groupes terroristes et de leurs attaques contre les populations civiles, le 15 mai 2022, le Mali a annoncé qu’il quittait l’organisation. Cette annonce a été vu par beaucoup de spécialistes et d’observateurs comme la fin du G5S.Pour l’analyste géopolitique, Ibrahim Hamidou, dans un entretien accordé à l’Agence Anadolu,« Le G5 Sahel ne peut pas prospérer parce que, d’une part, le Mali est un de ses piliers et, d’autre part, cette organisation n’a réussi à venir au bout de l’insécurité dans aucun de ses pays membres… et il rajoute que « Le G5 Sahel est une création de la France pour servir de supplétif à sa force Barkhane pour pérenniser sa présence au Sahel ».Cette façon de voir les choses est partagée par bon nombre de la population des pays concernés.Pour tenter d’enrayer ces attaques, le Mali a fait appel au groupe Wagner, cela a été le cas aussi pour le Burkina dans une moindre mesure. Force est de constater que jusque-là, les résultats sont très peu satisfaisants car les attaques continuent avec une violence inouïe et le groupe militaire privé WAGNER est accusé d’exactions contre les populations civiles.La situation s’étant enlisée, on peut en déduire que les 3 dirigeants qui, de par leurs discours respectifs sont plutôt panafricanistes, ont décidés de prendre leurs responsabilités et faire face au problème avec leurs propres moyens. Ainsi, l’article 4 de la charte dit que « les parties contractantes s’engagent à lutter contre le terrorisme sous toutes ses formes et la criminalité en bande organisée dans l’espace commun de l’alliance ».Le fait d’avoir des problèmes politiques, sociaux et sécuritaires commun fait que ces pays ont décidés de s’unir afin d’y faire face. Une union qui fera peut-être jurisprudence car elle risque de bouleverser l’équilibre géopolitique de toute la sous-région.B)Les aspects géopolitiques et géostratégiques de l’AESCette organisation qui vient de naitre, rappelle un peu les deux autre qui lui ont précédé. Il s’agit de l’OTAN (1949) et du PACTE DE VARSOVIE (1954).Si on fait une étude comparative, on se rend compte qu’il y a beaucoup de ressemblances entre la charte Liptako-Gourma et le traité de l’atlantique nord. A titre d’exemple, l’article 5 du traité de l’atlantique nord précise qu’une « attaque armée contre l’une ou plusieurs [parties] survenant en Europe ou en Amérique du Nord sera considérée comme une attaque dirigée contre toutes les parties ». En conséquence, si une attaque survient, chaque Etat membre « assistera la partie ou les parties ainsi attaquées en prenant aussitôt, individuellement et d’accord avec les autres parties, telle action qu’elle jugera nécessaire, y compris l’emploi de la force armée, pour rétablir et assurer la sécurité dans la région de l’Atlantique Nord ».En clair, cet article 5 engage tous les pays membres de l’Alliance à fournir en cas d’agression une assistance, qu’elle soit militaire, humanitaire ou autre.Quant à la Charte du Liptako-Gourma, son article 6 dit que « toute atteinte à la souveraineté et à l’intégrité du territoire d’une ou plusieurs parties contractantes sera considérée comme une agression contre les autres parties et engagera un devoir d’assistance et de secours de toutes les parties, de manière individuelle ou collective, y compris l’emploi de la force armée, pour rétablir et assurer la sécurité au sein de l’espace couvert par l’Alliance »A la lecture combinée de ces 2 articles, on se rend compte de leur similarité, ce qui laisse penser que les membres fondateurs de l’AES ont pris une longueur d’avance dans l’établissement d’un organisme de défense africain là où l’Union européenne tâtonne et là ou l’Union Africaine fait du surplace avec son projet de Force africaine en Attente.Un autre élément est à prendre en compte pour essayer de comprendre le pourquoi de la création de l’AES. Il s’agit de faire barrage à la volonté des certains membres de la CEDEO d’intervenir militairement au Niger au lendemain du coup d’état qui a porté au pouvoir le général Abdourahamane TIANI, pour soi-disant, restaurer l’ordre constitutionnel (en d’autres termes, remettre l’ancien président BAZOUM au pouvoir avec tous les risques que cela pourrait comporter en termes de sécurité interne).En effet, les deux autres pays, en l’occurrence le Burkina et le Mali étaient déjà sous les sanctions de la CEDEAO, ainsi que la Guinée. Il faut rappeler qu’ils (Mali et Burkina) avaient publiquement apporté leur soutien aux militaires nigériens et avaient signé un document lu à la télévision malienne par le Colonel Abdoulaye MAIGA, ministre de l’Administration territoriale malienne qui disait « qu’une intervention militaire au Niger s’assimilerait à une déclaration de guerre contre le Burkina et le Mali ».Ces évènements laissaient à penser déjà que quelque chose se préparait et que la suite des évènements va bouleverser les relations entre ces pays et le reste de la sous-région ; raison pour laquelle l’AES se veut aussi une organisation ouverte. Il est prévu que les pays de la zone géographique concernée ainsi que ceux ayant des réalités politique et socioculturelles identiques pourront faire une demande d’adhésion à l’organisation. Pour preuve, l’article 11 qui dit que « la présente charte peut être ouverte a tout Etat partageant les mêmes réalités géographiques, politiques, socio-culturelles qui accepte les objectifs de l’Alliance… ».C)PerspectivesFace au déclin annoncé de l’occident et l’apparition d’un multilatéralisme plus réaliste (BRICS), avoir une organisation de défense africaine n’est pas une mauvaise idée en soi.Les organisations à vocation politique et économique sont légion dans toutes parties du monde. Cependant, celles destinées à la défense ne sont pas si nombreuses, et, en Afrique il n’en existait aucune qui ne soit cent pour cent africaine.Si l’AES arrive à s’institutionnaliser, à se pérenniser, à être autonome financièrement et à attirer dans son giron une bonne partie des pays de la sous-région, ce serait un signal énorme qui sera envoyé surtout à la CEDEAO. Cette dernière pourra ainsi opérer sa mue et s’inscrire dans la logique évolutive des relations multilatérales et des aspirations des populations des pays qui la composent.Thierno H. BAHJuriste commande publiqueConsultant Géopolitique

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