1644e séance du Conseil de Sécurité Tenue à New York, le dimanche 27 février 1972, à 20 heures.« 35. M. El Hadj Abdoulaye TOURE (Guinée) : Par lettre, en date du 25 février 1972 [10546], le représentant permanent du Liban demandait la réunion urgente du Conseil de sécurité. Cette requête était motivée et justifiée par l’agression violente et la violation du territoire libanais par l’armée israélienne, le 24 février 1972, à l’aube.36. Quarante-huit heures après le dépôt de la requête libanaise, l’agression israélienne contre le Liban continue, avec un déploiement de forces aériennes et des bombardements de l’artillerie israélienne.37. En examinant les faits et le déroulement des événements, nous ne pouvons que constater le caractère de préméditation de l’attaque israélienne du 24 février 1972 contre le Liban, dans la partie sud du pays, En effet, selon les informations de presse de toutes origines et qui corroborent toutes les déclarations faites devant le Conseil par le représentant du Liban à la 1643ème séance, ce sont plus de 50 blindés, appuyés par une centaine d’avion3 Mirage, Phantom et Skyhawk et des hélicoptères, qui ont pénétré sur le territoire libanais, dans les villages d’Aïta Chaab et d’Ain Ata, créant un vaste front d’attaque. L’artillerie israélienne bombardait en même temps la région pendant que les avions déversaient du napalm sur la nature et sur les cultures.38. Faisant suite à cette attaque de grande envergure, sans précèdent depuis la guerre de juin 1967 au Moyen-Orient, les bulldozers israéliens entraient simultanément en action pour détruire les maisons, ouvrir des voies d’accès aux blindés, préparant ainsi le terrain pour de nouvelles et futures agressions.39. Le bilan de cette opération militaire éclair dans laquelle l’Etat sioniste est passé maître - se chiffre pour le moment à plus de 10 civils tués et à plus de 25 habitations détruites.40. Le représentant d’Israël a invoqué devant le Conseil de sécurité la légitime défense et a prétexté de représailles pour justifier une agression caractérisée et préméditée contre le Liban, dont l’attitude pacifique, qui ne s’est jamais démentie, en fait sûrement la cible facile choisie par l’agresseur israélien pour intimider la résistance arabe et, en même temps, maintenir le chantage nécessaire pour pérenniser son occupation de la Palestine.41. Le Gouvernement israélien confine le Conseil de sécurité dans un cercle vicieux dont il reste le seul bénéficiaire. En prolongeant indéfiniment l’occupation injustifiée des territoires arabes, Israël entraîne comme il se doit la résistance du peuple palestinien. L’histoire du monde nous enseigne que la force brutale n’est jamais venue à bout de la volonté des peuples de reconquérir leur dignité, leur liberté, moins encore n’a réussi à annihiler ou à freiner la lutte de libération des peuples. La situation explosive qui prévaut au Moyen-Orient est la conséquence directe de l’occupation israélienne des territoires arabes, On peut se demander d’où vient la prolongation indéfinie de l’occupation des territoires arabes par Israël. La réponse réside dans l’appui massif, multiforme, notamment dans les domaines politique, militaire et financier, que l’Etat d’Israël reçoit et qui lui assure une supériorité momentanée et certains avantages lui permettant encore de maintenir sa domination militaire sur des territoires conquis par la force.42. C’est la règle du monde d’injustice dans lequel nous vivons et qui veut que l’Asie, le Moyen-Orient et l’Afrique continuent à subir le poids de l’arbitraire et de la force brutale. La Palestine, le Zimbabwe, la Namibie, les territoires portugais de l’Angola, du Mozambique et de la Guinée (Bissau) et d’autres enclaves coloniales sont, et demeurent, une seule et même chose.43. Les pays africains - et singulièrement la République de Guinée - connaissent la politique dite de représailles, cette politique érigée en système par cet autre Portugal qui tire toutes ses forces de l’appui qu’il reçoit des puissances occidentales au sein de l’OTAN. Nous connaissons le sens de toutes les incursions armées, des descentes d’intimidation et des opérations de grande envergure : elles visent toutes à arrêter l’élan de la lutte de libération des peuples assujettis.44. Le problème du Moyen-Orient doit trouver une partie de sa solution dans la résolution 242 (1967) du Conseil de sécurité et dans la mission Jarring. Mais il nous apparaît aujourd’hui, plus qu’à tout autre moment, la nécessité impérieuse de nous demander si la tâche dévolue au médiateur Jarring par les grandes puissances n’est pas ainsi soumise à une épreuve qui pourrait compromettre sa poursuite. La concomitante de l’attaque israélienne contre le Liban, de par son caractère violent et d’intimidation, et de la présence même de M. Jarring en Israël dès le début de cette agression, donne à réfléchir.45. La haine engendre la haine. Des générations nouvelles, nées sous l’occupation arbitraire et dans la terreur, ne peuvent être le fruit que de la violence. La résistance palestinienne a juré de mener la lutte 100 ans s’il le faut. Le Conseil de sécurité, organe chargé du maintien de la paix et de la sécurité dans le monde, peut-il longtemps se complaire dans la situation de guerre - qui n’est même plus, il faut se le dire, une guerre larvée - au Moyen-Orient ?46. L’aspect le plus grave est la menace proférée par les autorités israéliennes d’occuper, par un moyen ou par un autre, le sud du Liban, dans le prétendu but de neutraliser les activités de résistance des combattants palestiniens. Les événements que nous avons vécus ces 72 heures, et que nous continuons de vivre, concourent tous à prouver la volonté expansionniste d’Israël. La solution du problème palestinien ne réside pas dans l’occupation de tous les pays arabes, moins encore dans l’annexion militaire du sud du Liban.47. Avant l’expédition punitive d’Israël contre I ’aéroport international de Beyrouth, en décembre 1968, le Liban - dont tout le monde est unanime à reconnaître l’attitude constamment pacifique - avait adressé 29 lettres au Conseil de sécurité. De 1969 à février 1972, il y a eu trois réunions du Conseil de sécurité et deux résolutions ont été adoptées. Mais force nous est, aujourd’hui, de nous rendre à l’évidence qu’il persiste au Moyen-Orient - et singulièrement sur la frontière israélo-libanaise - une atmosphère de terreur entretenue et alimentée. Bientôt un quart de siècle aura passé, et la situation demeure la même ! Les peuples arabes et le peuple de Palestine demandent que justice soit faite.48. Dans son intervention au cours de la 1643ème séance du Conseil de sécurité, le représentant du Liban, l’ambassacleur Kabbani, nous a souligné l’ampleur de l’agression subie par le Liban, le contraste entre la gravité de l’attaque et une prétendue action des combattants palestiniens. Il a démenti le fait que des actes incriminés aient eu lieu en territoire occupé, disant que c’était bien plutôt en territoire israélien, sur lequel les autorités libanaises - comme de bien entendu - n’ont aucun contrôle.49. Le représentant du Liban a demandé au Conseil de sécurité d’empêcher Israël d’agir de la sorte, de rompre et de menacer la paix. Et aujourd’hui, l’ambassadeur du Liban est sorti de son lit pour venir nous répéter les mêmes doléances.50. Le moins que le Conseil puisse exiger d’Israël, à ce stade de nos débats, est d’arrêter immédiatement l’attaque armée dirigée contre la souveraineté et l’intégrité territoriale du Liban et d’opérer le retrait immédiat et inconditionnel de toutes les troupes israéliennes du territoire libanais, Il devra aussi, à un stade ultérieur naturellement, exiger l’application à Israël des sanctions pertinentes de la Charte des Nations Unies. »Source : document des archives de l’ONU référencé S/PV.1644Baïla Amadou TraoréJuriste, Journaliste-Chnroniqueur

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